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Partage d'une lidy rou
30 avril 2012

Arthur se met à parler à sa mère décédée

J'ai adoré ce passage 

 Je me souviens d’un jour au jardin des roses. Je jouais assis parterre, j’avais six ans, peut-être sept. C’était l’aube de notre dernière année. Tu es sortie de la cuisine pour t’installer sur la véranda. Je ne t’avais pas vue. Antoine était descendu vers la mer alors je profitais je profitais de son absence pour jouer à l’interdit. Je taillais les rosiers avec son sécateur bien trop grand pour ma main. Tu as abandonné la balan.

celle et tu as descendu les marches du perron pour me protéger d’une blessure à venir . Quand j’ai entendu tes pas j’ai cru que tu allais crier, parce que j’avais trahi la confiance que tu me donnais bien volontiers, m’enlever l’outil comme on ôte une médaille à celui qui n’en est plus digne. Mais rien de cela, tu t’es assise près de moi et tu m’as regardé. Puis tu as pris ma main dans la tienne pour la guider le long de la tige. De ta voix adoucie de sourires tu m’as dit qu’il faudrait toujours couper au dessus des yeux, au risque de blesser la rose ; et un homme ne doit ja-mais blesser une rose, n’est-ce pas ? Mais qui pense à ce qui blesse les hommes ?

Nos regards se sont croisés. Tu as passé ton doigt sous mon menton et tu m’as demandé si je me sentais seul. J’ai balancé ma tête pour dire non, avec toute la force qu’il fallait pour mieux chasser un men-songe. Tu ne pouvais pas toujours me rejoindre dans l’écart de nos âges que je peuplais à ma manière. Ma-man, crois-tu à une fatalité qui nous pousse à repro-duire les mêmes comportements que nos parents ?

Je me souviens de tes mots dans la dernière lettre que tu m’as laissée. Moi aussi j’ai renoncé, maman.

Je n’imaginais pas pouvoir aimer comme je l’ai aimée. J’ai cru à elle comme on croit à un rêve. Quand il s’est évanoui, j’ai disparu avec lui. Je pensais agir par courage, par abnégation, mais j’aurais pu refuser d’entendre tous ceux qui m’ordonnaient de ne pas la revoir. Sortir du coma est comme une renaissance. Lauren avait besoin de sa famille auprès d’elle. Et sa seule famille c’était sa mère et un petit ami avec lequel elle a renoué. Qui suis-je pour elle d’autre qu’un in-connu ? En tous cas, pas celui qui lui fera découvrir que tous ceux qui l’entourent ont accepté qu’on la laisse mourir ! Je n’avais pas le droit de briser les équi-libres incertains dont elle avait tant besoin.

Sa mère me suppliait de ne pas lui dire qu’elle aussi avait renoncé. Le neurochirurgien me jurait que cela provoquerait un choc dont elle pouvait ne pas se remettre. Son petit ami, qui est revenu dans sa vie, a été la dernière barrière qui se dressait entre elle et moi.

Je sais ce que tu penses. La vérité est ailleurs, la peur est plurielle. Il m’a fallut du temps pour m’avouer que j’ai eu peur de ne pas savoir l’entraîner au bout de mes rêves, peur de ne pas être à leur hauteur, peur de ne pas pouvoir les réaliser, peur de ne pas être finale-ment l’homme qu’elle attendait, peur de m’avouer qu’elle m’avait oublié.

J’ai pensé mille fois la retrouver, mais là aussi j’ai eu peur qu’elle ne me croie pas, peur de ne pas savoir réinventer le rire à deux, peur qu’elle ne soit plus celle que j’avais aimée, et surtout, peur de la perdre à nouveau, ça, je n’en aurais pas eu la force. Je suis parti vivre à l’étranger pour m’éloigner d’elle. Mais il n’y a pas de distance assez lointaine quand on aime. Il suffisait qu’une femme dans la rue lui res-semble pour que je la voie marcher, que ma main grif-fonne son nom sur une feuille de papier pour la faire apparaître, que je ferme les yeux pour voir les siens, que je m’enferme dans le silence pour entendre sa voix. Et pendant ce temps, j’ai raté le plus beau projet de ma carrière. J’ai construit un centre culturel dont la façade est tout en carrelage, on dirait un hôpital !

En partant là-bas, c’est aussi ma lâcheté que je fuyais, j’ai renoncé, maman, et si tu savais comme je m’en veux. Je vis dans la contradiction de cet espoir où la vie nous remettrait en présence l’un de l’autre, sans savoir si j’oserais lui parler. Maintenant, il faut que j’avance, je sais que tu comprendras ce que je suis en train de faire avec ta maison et que tu ne m’en voudras pas. Mais ne t’inquiètes pas, maman, je n’ai pas oublié que la solitude est un jardin où rien ne pousse. Même si aujourd’hui je vis sans elle, je ne suis plus jamais seul, puisqu’elle existe quelque part.

[Marc Lévy - Vous revoir]

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